Hommage du Groupe Orange à M. Gérard Théry, Directeur Général des Télécommunications
Le 18 juillet 2021 disparaissait M. Gérard Théry dans sa 89ème année au terme d’une vie tournée vers les Télécommunications de notre pays. Le Groupe Orange adresse ses plus sincères condoléances à son épouse Christine, à ses enfants et petits-enfants. Comme le stipulait un ancien Président Directeur Général de France-Télécom présent aux obsèques le 23 juillet (ndlr : M. Didier Lombard) : « Heureusement que nous avons eu Gérard Théry à la tête du téléphone français, car avec n’importe qui d’autre, nous aurions mis deux fois plus de temps pour le faire ». La France et les Télécommunications françaises doivent beaucoup à Gérard Théry, qui demeurera comme un Grand Directeur Général des Télécommunications (DGT), si ce n’est le plus grand qu’elle ait compté depuis sa création en 1946. Au préalable, il convient de retenir que Gérard Théry était un organisateur né. Sa qualité principale fut, tout au long de sa vie professionnelle un grand sens de l’organisation, de l’efficacité, de la rigueur, doublé d’un grand sens du commandement en sachant motiver les troupes avec des directives claires, dénuées d’arrière-pensées : le but est alors de sauver et développer en un temps record le Réseau de Télécommunications français. Toutes ses qualités sont autant ce qui le caractérise de manière intrinsèque, que la carrière aux rebondissements parfois atypiques qui ont achevé de façonner l’homme. Ancien élève de l’École Polytechnique (promotion X 1952), et de l’École Nationale Supérieure des Télécommunications dont il sort ingénieur diplômé en 1957, il débute ses fonctions dans l’Administration en 1955 à l’âge de 22 ans, affecté à la Direction des Câbles Sous-Marins à Paris jusqu’en 1961, puis au Centre National d’Etudes des Télécommunications à Issy-les-Moulineaux alors dirigé par le grand Pierre Marzin. En 1965, il se retrouve chargé de mission auprès du Préfet de Région Lorraine. Le 18 janvier 1966, il est ensuite nommé Conseiller Technique auprès du Ministre des P et T – Jacques Marette. En Août 1967, il est promu Ingénieur en Chef au CNET, à Issy-les-Moulineaux. Le 8 août 1968, Gérard Théry est nommé Chef du Service des Programmes et des Etudes Economiques (SPEE) à la DGT. L’expérience acquise sur ce poste, touchant au financement des télécommunications, lui sera par la suite d’un grand secours. En effet, il est bon d’avoir de solides notions sur la finance dans un monde qui va (déjà) en se financiarisant de plus en plus… En Mai 1972, Gérard Théry est promu Ingénieur Général des Télécommunications. Le 13 juillet 1973, Gérard Théry est nommé Directeur des Télécommunications de Paris (intra-muros). Gérard Théry, Ingénieur Général, en pleine possession de ses moyens, jeune, énergique et dynamique est chargé, dans ce poste réputé à juste titre très difficile, de redonner vigueur et santé à un réseau téléphonique parisien réputé atteint de vétusté. Le réseau est très ancien, dense, mais saturé… Les listes d’attente s’allongent d’année en année… Des programmes de rénovation des autocommutateurs ont certes été lancés en 1971 pour rénover les vénérables autocommutateurs Rotary 7A1 qui ont pu traverser la seconde guerre mondiale sans encombre, mais cela ne suffit plus d’autant que les capacités insuffisantes des centres de transit téléphoniques saturés sont submergées. La situation est préoccupante, voire inextricable. La France, en 1973, est en retard d’au moins 30 années dans l’extension, l’automatisation et la modernisation de son réseau téléphonique ; et Paris se retrouve dans une situation totalement occluse. C’est l’époque du 22 à Asnières où la France était devenue depuis les années 1960 la risée du reste du monde pour son téléphone pittoresque. Après son passage au SPEE où Gérard Théry aura pu approcher les questions de financement nécessaires pour le téléphone, son arrivée à Paris va entraîner de vastes améliorations. Durant son passage de 15 mois à Paris, il lancera 5 projets de construction de grands centraux téléphoniques souterrains : Beaujon, Cévennes, Murat, Palais-Rose et Ternes, ainsi qu’un vaste programme d’extension de centraux téléphoniques existants comprenant ajout de bâtiments attenants ou d’étages, et d’installations d’autocommutateurs et d’équipements de transmissions destinés à augmenter l’écoulement du trafic, le tout à une cadence accélérée telle que l’on ne la connaît plus de nos jours. Le décès du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974 va encore accélérer la donne. En effet, avec l’élection d’un nouveau Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, jeune et en pleine santé, la France décide au plus haut niveau de déclarer le téléphone comme priorité nationale. Les financements affluent de manière prioritaire vers le téléphone. En Octobre 1974, la situation est très troublée dans les Postes et Télécommunications, en raison, notamment d’une maladresse commise par le Secrétaire d’État des P et T du moment, M. Pierre Lelong… Une grève très dure d’un mois est engagée, qui coûtera d’ailleurs sa place au ministre quelques semaines plus tard… Le 16 octobre 1974, M. Gérard Théry est nommé nouveau Directeur Général des Télécommunications en conseil des ministres, et c’est ainsi qu’en pleine grève générale il se retrouve à la tête du téléphone français dans les pires conditions d’adversité possible, et se prépare à déployer sa manière de travailler à toute la France : calculer précisément les besoins, les objectiver de manière ambitieuse mais réaliste, déconcentrer au niveau local tout en donnant des objectifs clairs sur l’accroissement du parc de lignes téléphoniques, le tout contrôlé à intervalle régulier et la qualité de service avec les moyens nécessaires aux équipes pour travailler efficacement. Le Delta LP prend alors naissance. La France s’engage vraiment dans la bataille du téléphone, dans une course effrénée et exaltante à la fois, telle que l’on ne la connaîtra plus jamais. En matière de Ressources Humaines, Gérard Théry, Directeur Général des Télécommunications instituera un parcours obligatoire de deux années sur le terrain (en région ou à la Recherche) pour tous les Ingénieurs des Télécommunications nouvellement diplômés, avant toute affectation en état-major. Il estimait ce passage comme une nécessité pour les dégourdir et leur apprendre les choses de la vie. Fin 1975, le cap d’un million d’abonnés au téléphone raccordé en 12 mois est atteint pour la première fois, ce qui fera la fierté du Secrétaire d’État aux P et T du moment, M. Aymar Achille-Fould. L’offre de lignes devient pour la première fois supérieure à la demande et permet de diminuer les listes d’attente des candidats-abonnés et leurs demandes non satisfaites… Le 12 février 1976, un troisième Secrétaire d’État au P et T est nommé. Il s’agit de Norbert Ségard qui demeurera dans les mémoires comme le Grand Secrétaire d’État dont la France avait besoin, qui mettra toute son énergie et engagera ses dernières forces vitales pour le développement du téléphone français. L’entente entre Gérard Théry et Norbert Ségard sera excellente. Les deux hommes feront Le printemps du téléphone français… Songeons qu’entre fin 1974 et fin 1981, le nombre de lignes d’abonnés passera de 6 millions à 17 millions… soit 11 millions de lignes construites et mises en service en 7 années. Au passage, ce sera sous son autorité que la France sera entièrement automatisée le 15 décembre 1979 ! Il est à signaler qu’en de nombreuses occasions, M. Gérard Théry en plus de son poste de DGT, remplacera par intérim le Secrétaire d’État aux P et T, lorsque celui-ci sera opéré et soigné… Qu’à cela ne tienne : Gérard Théry est un bourreau de travail. Le 13 mai 1976 constitue un tournant pour le téléphone français : dès l’été 1978, l’on ne commandera plus aucun autocommutateur électromécanique. Seuls les centraux électroniques seront commandés désormais. Les autocommutateurs électroniques temporels seront commandés pour les villes moyennes, tandis que les grandes métropoles seront équipées d’autocommutateurs électroniques spatiaux, étant donné que seules ces machines puissent supporter les contraintes de fonctionnement dans les grandes villes. Il s’agit là du choix de la raison adopté en urgence, les autocommutateurs temporels n’étant encore pas en mesure de résister aux grandes villes avant une dizaine d’années de perfectionnements nécessaires. Mais le plan de rattrapage du téléphone ne sera pas le seul haut fait de Gérard Théry. En effet, c’est sous son magistère que sera prise la décision de proposer à tous les français l’accès à la Télématique depuis leur domicile. C’est la naissance, en 1978, du projet Télétel. Gérard Théry est et demeurera l’homme du Minitel. Le 2 janvier 1981 marquera la mise en service de la première tranche du Centre Informatique Télétel Videotex à Vélizy. Le 15 juin 1981 sonnera le top départ de l’ouverture au public sélectionné du service Télétel, et le 9 juillet 1981 l’inauguration officielle de l’expérience Télétel par le nouveau Ministre des PTT issu de l’alternance : Louis Mexandeau. Au cours de son mandat de 7 ans à la tête de la DGT, nous devons notablement à Gérard Théry et à ses équipes :
- La mise en service en France, en Septembre 1975, dans le cadre d’une exploitation normale, de la première liaison de transmissions numérique MIC entre deux centres téléphoniques de Paris à Meaux, d’une capacité de 720 voies téléphoniques simultanées ; une prouesse pour l’époque qui marque le début de la numérisation du réseau de transmission téléphonique français à marche forcée que le monde entier nous enviera.
- La mise en place en 1975 du Plan 100.000 cabines téléphoniques sur la voie publique, d’ici la fin 1980 – la cent-millième cabine mise en service sera célébrée le 6 janvier 1981 à Épône.
- La mise en service le 7 janvier 1976 du système hertzien PHARAON spécifique à l’Île-de-France permettant de venir compléter rapidement le besoin en liaisons téléphoniques de transit entre Paris-Intra-Muros et toute l’Île-de-France de la 2ème couronne et au-delà en zone régionale n°2. En effet, il était impossible de relier par des artères de cuivre conventionnelles avant au moins 10 à 15 années les nouveaux autocommutateurs de transit Pentaconta GCI entre-eux qui ont poussé comme des champignons dans toute l’Île-de-France sous son mandat. PHARAON, centralisé à Paris au sommet de la Tour Montparnasse, a permis de relever en un temps record ce défi du Printemps du téléphone.
- La mise en commande massive (financée) dès 1976 d’autocommutateurs téléphoniques électroniques à commande centralisée (Métaconta et AXE) destinés à remplacer en urgence la totalité des centraux électromécaniques rotatifs hors d’âge dans les grandes agglomérations telles que Paris, Marseille, Lyon et Lille.
- Les multiples réaménagements entre 1975 et 1980 du Plan de Numérotage téléphonique dans les départements et régions manquant de numéros (Paris/IDF, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais, Lyon, Bouches-du-Rhône) par le redéploiement d’indicatifs téléphoniques et/ou par le passage à la numérotation intermédiaire à 7 chiffres (Lyon et Lorraine) qui permettront de patienter jusqu’en Octobre 1985 pour passer à la numérotation à 8 chiffres…
- L’ouverture de la première téléboutique de Paris, le 2 mai 1977. Paris va ainsi voir fleurir à partir de cette date une multitude de boutiques qui mettent en valeur les produits et services des télécommunications proposés aux abonnés.
- La mise en service le 14 décembre 1978 du réseau français de transmissions de données numériques commutées par paquets TRANSPAC qui fait entrer la France dans le club des pays numériques.
- La mise en service le 1er septembre 1980, en France et en Europe de la première liaison numérique par fibre optique entre les Centres Téléphoniques Tuileries et Philippe Auguste (artère de 70 fibres / 16.000 voies téléphoniques numériques simultanées, longueur : 7,3 km), étudiée par le CNET dirigé par M. Maurice Bernard.
Les meilleures choses ayant une fin, Gérard Théry, l’homme de tous les records du téléphone pendant 7 années très denses, sera pourtant convoqué en Juillet 1981 en entretien très cordial par le Ministre des PTT nouvellement nommé qui lui déclarera : « Il est temps que le ministre dirige à nouveau les télécommunications. » et lui signifiera son congé pour le 7 août 1981. Sur ce, Gérard Théry se verra tout de même confier une nouvelle mission en 1982 par le gouvernement sur les satellites de télécommunications. Après avoir visité moult usines au Japon et aux USA, les conclusions de son rapport sont alors sans équivoque : il faut privilégier la filière de satellites à moyenne puissance, seuls capables de résister aux périodes prolongées dans l’espace, au détriment des satellites à forte puissance qui connaîtront dès leurs débuts, de gros problèmes de fiabilité. Ce sera alors à partir de 1984 le triomphe de la filière des satellites Telecom 1, Telecom 2, au détriment de la filière des satellites TDF1, TDF 2 etc… Le 20 février 1998, le gouvernement nomme Gérard Théry à l’opération Maîtrisons l’an 2000 ensemble, pour éviter ce que d’aucuns nommeront le bug de l’an 2000. En effet, 120 milliards de francs seront dépensés pour mettre à niveau tous les systèmes informatiques du pays, conçus pour beaucoup d’entre eux dans les années 1970 et 1980 dont le système de date interne n’est alors qu’à 2 chiffres… La plupart des logiciels n’avaient pas été prévus pour changer de millénaire sans la survenue de graves avaries. Gérard Théry s’est attelé sans fard à cette tâche ardue pendant plusieurs mois pour recenser les besoins, diriger les investissements, persuader tous les protagonistes… Et de ce fait, lorsque le grand jour est venu, aucun incident ne s’est produit en France. Gérard Théry avait réussi sans bruit à résoudre une question dont la réponse demeurait inconnue jusqu’au jour J. Empêcher une catastrophe sans bruit n’est pas gratifiant, et à cette tâche, la France et le monde des télécommunications lui demeure encore une fois redevable. Gérard Théry s’engagera en outre pour le mécénat, en devenant Président de la Fondation Norbert Ségard entre 1998 et 2007. Gérard Théry est promu Officier de la Légion d’Honneur, par décret du 11 juillet 1986. Gérard Théry est promu Commandeur dans l’Ordre National du Mérite, par décret du 25 novembre 1993. Gérard Théry, un homme aussi discret qu’efficace, sur les épaules duquel aura pesé le renouveau du téléphone français, ainsi que la naissance de la Télématique grâce au Minitel, précurseur français d’Internet avec 15 ans d’avance sur le reste du monde.